Edmond Dulac, Orphée |
"C'est une divinité qui te poursuit de sa colère : tu expies un grand forfait; ce châtiment, c'est Orphée, qu'il faut plaindre pour son sort immérité, qui le suscite contre toi, à moins que les Destins ne s'y opposent, et, qui exerce des sévices cruels pour l'épouse qu'on lui a ravie. Tandis qu'elle te fuyait en se précipitant le long du fleuve, la jeune femme, - et elle allait en mourir, - ne vit pas devant ses pieds une hydre monstrueuse qui hantait les rives dans l'herbe haute. Le choeur des Dryades de son âge emplit alors de sa clameur le sommet des montagnes; on entendit pleurer les contreforts du Rhodope, et les hauteurs du Pangée, et la terre martiale de Rhésus, et les Gètes, et l'Hèbre, et Orithye l'Actiade. Lui, consolant son douloureux amour sur la creuse écaille de sa lyre, c'est toi qu'il chantait, douce épouse, seul avec lui-même sur le rivage solitaire, toi qu'il chantait à la venue du jour, toi qu'il chantait quand le jour s'éloignait.
Il entra même aux gorges du Ténare, portes profondes de Dis, et dans le bois obscur à la noire épouvante, et il aborda les Mânes, leur roi redoutable, et ces coeurs qui ne savent pas s'attendrir aux prières humaines. Alors, émues par ses chants, du fond des séjours de l'Érèbe, on put voir s'avancer les ombres minces et les fantômes des êtres qui ne voient plus la lumière, aussi nombreux que les milliers d'oiseaux qui se cachent dans les feuilles, quand le soir ou une pluie d'orage les chasse des montagnes : des mères, des maris, des corps de héros magnanimes qui se sont acquittés de la vie, des enfants, des jeunes filles qui ne connurent point les noces, des jeunes gens mis sur des bûchers devant les yeux de leurs parents, autour de qui s'étendent le limon noir et le hideux roseau du Cocyte, et le marais détesté avec son onde paresseuse qui les enserre, et le Styx qui neuf fois les enferme dans ses plis. Bien plus, la stupeur saisit les demeures elles-mêmes et les profondeurs Tartaréennes de la Mort, et les Euménides aux cheveux entrelacés de serpents d'azur; Cerbère retint, béant, ses trois gueules, et la roue d'Ixion s'arrêta avec le vent qui la faisait tourner.
Déjà, revenant sur ses pas, il avait échappé à tous les périls, et Eurydice lui étant rendue s'en venait aux souffles d'en haut en marchant derrière son mari (car telle était la loi fixée par Proserpine), quand un accès de démence subite s'empara de l'imprudent amant - démence bien pardonnable, si les Mânes savaient pardonner ! Il s'arrêta, et juste au moment où son Eurydice arrivait à la lumière, oubliant tout, hélas ! et vaincu dans son âme, il se tourna pour la regarder. Sur-le-champ tout son effort s'écroula, et son pacte avec le cruel tyran fut rompu, et trois fois un bruit éclatant se fit entendre aux étangs de l'Averne.
Traduction de Maurice Rat (1932)
Présentation
Virgile, écrivain et poète latin
Les Géorgiques est un
long poème didactique dont le thème principal est l’agriculture et l’éloge à la
nature.
L’extrait présenté ici provient du livre IV, souvent nommé « les
abeilles » ou « le rucher » il retrace l’histoire d’Aristée et
par la même occasion celle d’Eurydice et d’Orphée. L’extrait étudié est un
discours encadré de Protée qui compte l’histoire du couple au jeune berger qui
cherche à se repentir de la mort d’Eurydice.
Problématiques
- Comment l’héroïsme d’Orphée est-il mis en avant ? (dimension épique)
- Quelle image du poète
donne Virgile dans ce texte ?
Plan
I. Un mythe
A) invariants & variant
-(définir la notion d’invariants)
-confiance bafouée
-Eurydice tué alors
qu’elle court pour échapper à Aristée par une créature.
-Orphée s’élançant
dans les ténèbres à la suite d’Eurydice car il ne peut pas supporter la
souffrance provoqué par son absence.
-Présence de variant
qui définit les traditions orales : hydre-serpent
B) Un mythe conté
-Protée conte
l’histoire à Aristée et lui explique la source de son problème: « C’est
une divinité qui te poursuit de sa colère ». Aristée doit subir « un
châtiment » (l.1)
-Protée est subjectif
et s’adresse à Eurydice dans le texte pour donner une nouvelle dimension à son
récit en appuyant sur la souffrance d’Orphée : répétitions: « C’est
toi qu’il chantait, douce épouse…C’est toi qu’il chantait…C’est toi qu’il
chantait».
II. Le Royaume des
morts
A) Une ambiance distincte
-champ lexical des
ténèbres : obscure, noire, soir…
- Une ambiance close,
presque étouffante : « aux gorges du Ténare, portes profondes du
Dis » « bois obscur à la noire épouvante »…
-Immensité des Enfers
principalement ressentie par les énumérations de lieux et la profusion d’adjectif
s’attachant à ses lieux.
B) Le destin et la place des divinités
-Proserpine : déesse
des enfers, enlevée par le dieu des enfers Hadès et présente aux enfers
seulement durant l’Hiver et l’Automne.
- Dimension divine
marquée dans le mythe : « à moins que les destins ne s’y
opposent », « Divinité qui te poursuit de sa colère »-> son
châtiment est de nature divine, présence des Dieux dès les premières lignes.
-« Une démence
subite s’empara » : Orphée, qui a réussi à faire plier les morts et
ses dieux, ne peut plus se contrôler, malgré ses prédispositions et sa
puissance irréfutable.
C) La Nature
-« La creuse
écaille de sa lyre » : présence de la nature dans la lamentation
d’Orphée.
- distinction entre
la nature du royaume des morts et celui des vivants (« rives, herbes
hautes, le long du fleuve, jour » : le royaume des morts semble plus
sombre (c.f champ lexical des ténèbres).
- thématique de la
lumière récurrente dans tous le texte : Même lorsqu’Orphée est encore
dans le monde des vivants et se lamente sur sa lyre de la mort d’Eurydice, la lumière arrive pour mieux disparaitre
« à la venue du jour…quand le jour s’éloignait ». Ce point est accentué dans les ténèbres où le
jour n’apparait plus, remplacé par un éternel « soir ».
- Champ lexical du
son et de l’eau : nature vivante
III. Héroïsme
A) La puissance d’Orphée arrête tous les supplices
-« Cerbère
retint béant ses trois gueules » : le gardien redoutable des Enfers
se plie au chant d’Orphée
-« Roue d’Ixion
s’arrêta avec le vent qui la faisait tourner » : Orphée influence
aussi la nature avec sa plainte : le vent arrête de souffler comme pour
offrir un silence total à la plainte d’Orphée.
-« Euménides aux
cheveux entrelacés de serpents d’azurs » : les créatures normalement
insensibles sont touchées par les lamentations d’Orphée.
B) Des habitants qui ne peuvent pardonner
-« Si les Mânes
savaient pardonner »
-« leur roi
redoutable » « et ces cœurs qui ne savent pas s’attendrir aux prières
humaines ».
-Diversités de morts
montrant que le Royaume des morts n’épargne personne.
C) Des adversaires redoutables qui sont charmés !
- profusion de morts
désignés comme « ombres minces » « fantômes » qui semblent
franchir « l’onde paresseuse qui les enserre » et le « Styx qui
les enferme » pour rejoindre et suivre le chant d’Orphée.
-« Il avait
échappé à tous les périls » : mise en avant qu’il avait réussi à
charmer et attendrir les créatures les plus redoutables.
-« Car telle est
la loi fixée par Proserpine » : même les dieux remarquent la
puissance d’Orphée et lui permette de sortir des enfers en suivant une nouvelle
alternative bien qu’Orphée se soit aventuré dans le Royaume des morts et ait
bouleversé son fonctionnement durant cette même visite.
è Mise en avant de l’héroïsme d’Orphée mise en
avant par Protée.
è La nature, tourné vers les enfers a certains
de ces éléments attirés par le pouvoir d’Orphée. Les Habitants attirés par
Orphée et les supplices du Royaume des morts s’arrêtant.
è Relation entre Orphée et la Dryade
Eurydice : accentue une vision d’un poète qui souffre, enfermés dans ses
propres lamentations attisés par sa souffrance.
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